documentaire d’Albert Serra le dimanche 20 avril Vox République Avignon 18h30

Je pense que les animaux sont au service des hommes. Dans les taureaux se créent un mystère et une angoisse que l’on n’a pas dans d’autres spectacles
Albert Serra, à propos de son documentaire
Que nous soyons pro ou anti-tauromachie, ce n’est pas au centre de ce documentaire. Le sujet principal de cette œuvre est Dieu. Albert Serra explore ce qu’est l’agonie. Dans ce documentaire sacerdotal, le réalisateur espagnol raconte la corrida de manière tragique en suivant la trajectoire d’un jeune matador péruvien, Roca Rey, prophète du taureau.
À la manière d’un Goya, Albert Serra s’attache à raconter une histoire de peau, de sang et de couilles. « La vie ne pèse rien » souligne son aide de camp Chacon, qui lui conseille à l’oreille la chorégraphie de la danse macabre du taureau.
Tardes de Soledad, c’est l’acte du renoncement ou comment un homme abandonne son corps au taureau ou le taureau son animalité à l’homme dans l’acte authentique de mourir dans une arène. En deux heures et trois lieux, l’hôtel, la voiture et l’arène, on nous laisse entrevoir l’anachronisme de l’acte tauromachique celle de la mise à mort du taureau.
Seul, le souffle compte. Le déferlement du souffle du taureau face à celui saccadé de l’homme dans l’arène, Un Enlil* pour ne pas oublier que la vie n’est rien.
Andrés Roca Rey est né matador, issu d’une famille tauromachique, son frère Fernando étant matador, et son oncle José Antonio ayant été rejoneador (cavalier combattant le taureau avec le rejon, la lance dans la pratique seigneuriale du combat à cheval du taureau, la corrida équestre porte le nom de « caballero en plaza » (synonyme de « torero à cheval » ).
Dans ce documentaire, nous assistons au cheminement du règne de Roca Rey, où il en franchit des étapes importantes de sa jeune carrière, notamment de multiples triomphes lors d’événements prestigieux à Madrid, Séville et Mexico.
La force du documentaire figure dans les seconds rôles, les peons (les aides), cette équipe comprend des membres tels que les banderilleros et le picador, chacun ayant des responsabilités spécifiques dans l’arène. Après la corrida, s’exprime la comédie humaine dans le van qui les ramène à l’hôtel et au message de cette missive sur la tauromachie : la solitude du héros et ses rapports entre les hommes qu’on nomme « l’effet de cour ». Dans ce petit espace, se livrent toutes les facettes de l’humanité : du grotesque au burlesque, de la violence à la sexualité machiste dans la tiédeur de la vie. Et leur maître, Roca Rey semble ailleurs, dans le pourquoi le taureau ne l’a pas encore supprimé.
La danse de la vie s’incarne au moment de l’habillement du torero, dans une chambre d’un Ritz méditerranéen, où Roca Rey se transforme en homme de lumière avec l’aide de son valet d’épée.
En grec ancien, la tauromachie signifie « combat de taureau », enracinée dans plusieurs cultures, en Espagne et dans notre sud de la France. Albert Serra en capte l’essence, où les jeux taurins étaient souvent associés à des rites collectifs ou initiatiques. L’histoire de la tauromachie moderne s’est structurée au Moyen Âge, a évolué pour devenir un spectacle codifié au XVIIIe siècle grâce à des figures emblématiques comme Francisco Romero, considéré comme le pionnier de la tauromachie moderne.
En digne successeur, Roca Rey à la figure d’icône de notre société capte grâce aux plans rapprochés des trois caméras longues focales du réalisateur qui n’utilise aucun plan large, l’essence de la vie : comment se confronter à la mort quand on est vivant. Jamais la corrida n’a été filmée dans ce sens, comme le souligne le réalisateur et cela est vrai, c’est pour cela qu’il a obtenu le prix de la Coquille d’Or à la fête de Saint-Sébastien, pourrait être nommé aux Oscars dans la catégorie documentaire.
Tardes de Soledad n’est pas un plébiscite sur la tauromachie.
C’est un documentaire sur la vie, qui n’a pas de prix si on ne la vit pas intensément, pour ne pas disparaître bêtement.
(* Enlil : dieu du souffle dans l’Antiquité)

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